dimanche 2 novembre 2008

La social-démocratie est un modèle périmé



Le Parisien du 02/11/08, Ségolène Royal est "L'invitée du Dimanche", présidente de la région Poitou-Charentes, Ségolène Royal n’exclut pas d’être candidate au poste de premier secrétaire du PS si les militants socialistes placent sa motion en tête.
Avec qui ferait-elle alors alliance? "Il n’y a pas d'exclusive", assure-t-elle.

Question: La crise ne sonne-t-elle pas l’heure, à droite comme à gauche, des personnalités fortes et pragmatiques ?
Ségolène Royal: Les Français découvrent que les hauts dirigeants des entreprises et de la finance internationale ont emmené le système dans le mur. Pour changer la donne et le rapport de forces — afin que la crise serve à quelque chose — il va falloir, oui, beaucoup de courage, un esprit visionnaire et aussi ne pas être lié aux puissances d’argent.

Face à la rapidité de mutation du capitalisme, les socialistes n’ont-ils pas, à chaque fois, un métro de retard ?
Pas toujours!... Souvenez-vous de ce que j’avais dit pendant la campagne présidentielle et qui m’a valu parfois tant de sarcasmes :je parlais des rémunérations excessives des traders, du nécessaire recentrage des banques sur leur cœur de métier, de l’interdiction des paradis fiscaux, de la création de fonds public d’aides aux PME, de la sécurisation des salariés comme instrument majeur de l’efficacité des entreprises. Je n’étais absolument pas en retard, bien au contraire. En revanche, on ne peut que constater l’échec cinglant de la politique économique de la droite depuis un an et demi. Une politique qui se résume au bouclier fiscal, c’est-à-dire à un avantage aux rentiers.

Le PS n’a donc pas, selon vous, à revoir son logiciel, à aller plus loin ?
Bien sûr qu’il faut aller plus loin, et certainement pas en revenant aux idées de la social-démocratie, et encore moins aux idées libérales ! La social-démocratie a été opérationnelle à un moment donné de l’histoire. Mais comment ne pas constater qu’elle a été tenue en échec dans plusieurs pays européens ? Pourquoi ? Parce qu’il faut un État préventif qui change les rapports de force et non pas, comme dans la social-démocratie, un État secouriste qui ne remet pas en cause le système. Quand j’entends certains socialistes vanter les vertus en 2008 du modèle social-démocrate, je suis stupéfaite, car c’est un modèle périmé. C’est un nouveau modèle qu’il faut inventer. Avec une lucidité radicale sur de nombreux sujets... Lesquels ?
Il faut, par exemple, obliger les entreprises qui font des bénéfices à rembourser tous les fonds publics afin de stopper les délocalisations et les licenciements. Je l’ai fait dans la région que je préside. Il est urgent de le faire à l’échelle nationale car des entreprises profitent actuellement de la crise—voyez le comportement scandaleux d’Arcelor Mittal en Lorraine — pour accélérer certaines délocalisations. J’insiste : quand des entreprises se comportent mal, il faut être avec elles radical et, à l’inverse, tout faire pour sécuriser les PME innovantes en facilitant des compromis sociaux entre salariés et employeurs afin que tous défendent ensemble l’intérêt de l’entreprise.

C’est cela, le socialisme ?
Oui. C’est le socialisme du XXIe siècle, revisité à la lumière des immenses défis d’aujourd’hui. Une pensée politique doit toujours être en mouvement. Avec un certain nombre de repères intangibles.

Et c’est quoi "le" repère intangible du socialisme ?
C’est vouloir humaniser le monde, regardez comment il en a besoin, le monde aujourd’hui! L’Amérique de Bush a pensé — et Nicolas Sarkozy reste fasciné par ce modèle-là — que ce qui crée la richesse, ce n’est pas le travail bien payé mais la société de consommation à tout-va, fondée sur le surendettement des ménages, juteux pour les banques. Résultats: la crise planétaire, les salaires des équipes dirigeantes multipliés par dix en dix ans, les inégalités qui se creusent. Le salaire moyen des 50 patrons français les mieux payés a augmenté de 20 % durant la seule année 2007 et, pendant ce temps-là, la moitié des cadres a perdu du pouvoir d’achat. Or si les cadres sont démotivés, ça va très mal se passer dans les entreprises ! On ne va pas attendre trois ans comme cela. Il faut que Sarkozy rectifie la trajectoire. Seule une pression de l’opinion et un PS à l’offensive pourront l’y forcer. Les salariés désespérés de la Camif avec lesquels j’étais vendredi, qui voient les milliards pour les banques et rien pour eux, me disaient : "Sarkozy, avec de telles fautes professionnelles, mérite un préavis de licenciement pour 2012 !"

Si votre motion obtient une majorité relative des suffrages, avec qui êtes-vous prête demain à passer alliance pour gouverner le PS ?
Tous ceux qui voudront nous rejoindre seront les bienvenus. On aura voté sur un projet. A partir de là, il n’y a pas d’interdit, pas d’exclusive. Parce que j’aime les militants, je ne suis pas rancunière. C’est pour eux que, dans cette période, je n’ai pas répondu aux attaques. J’ai tracé ma route. Les militants auraient pourtant apprécié qu’un peu de respect soit demandé à M. Rocard par Bertrand (NDLR: Delanoë), qui promet de la discipline. De même, comment Martine (NDLR : Aubry) peut-elle accuser le PS de ne pas avoir travaillé alors qu’elle a en charge, depuis trois ans, les questions sociales et l’emploi, comme secrétaire nationale chargée de ces questions ? Est-ce une autocritique ? Il faudra donc que le travail et le respect soient enfin les règles au parti. Donc, tout le monde est utile, mais il est temps que ça change et de donner des responsabilités à une nouvelle génération. Déjà, il y a un pack opérationnel qui fait une belle campagne collective: Vincent Peillon, François Rebsa­men, Julien Dray, Delphine Batho, Najat Belkacem, Manuel Valls, Dominique Bertinotti, Jean-Jack Queyranne, Aurélie Filippetti, Guillaume Garot et, bien sûr, Jean- Louis Bianco, Jean-Pierre Mignard et Gérard Collomb.

En cas de succès de votre motion, serez-vous candidate au poste de premier secrétaire ?
Il y a un leadership politique qui continue et continuera. Est-ce que je l’assumerai en étant à la tête du PS ? On verra. Une évidence: une personne, quel que soit son talent, ne peut pas relever à elle seule tous les défis qui attendent notre parti. Il y aura demain des responsabilités bien identifiées et clairement déléguées. Dans un esprit d’équipe, avec un animateur d’équipe. Mais, aujourd'hui, l’heure est au choix entre des projets, et celui que je défends est le seul à assumer une continuité avec la campagne présidentielle de 2007. Il est très important que les militants choisissent à la fois le changement en profondeur du parti et la fidélité aux millions d’électeurs qui se sont reconnus dans ces idées. Indépendamment de ma personne, la présidentielle a été, en effet, un très grand moment de l’histoire des socialistes, spécialement pour les catégories populaires. Ce sont elles qui nous ont permis d’accéder au second tour. Tous ceux qui ont manqué de respect au vote des militants en critiquant ou en ne soutenant pas la candidate choisie par eux méritent-ils, moralement, leurs voix aujourd’hui ? Seule la droite pourrait s’en réjouir.

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